La grande lieue gauloise. J. Dassié. Page 20.

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Conclusions .

      Cette étude démontre l'existence de la grande lieue gauloise d'une valeur moyenne de l'ordre de 2400 à 2500 mètres dans toutes les sources d'informations : itinéraires anciens, inscriptions numériques des bornes milliaires, relevés topographiques sur cartes. Cette lieue existe et son utilisation, très largement répandue, est majoritaire, au moins en Aquitaine-Poitou-Charentes.

      
Bien que remarquée par différents auteurs, il semble qu'un voile soit tombé sur cette unité purement gauloise, pratiquement bannie des publications de référence, même les plus récentes. Les sources des arguments traditionnels en faveur de la lieue romanisée dérivent souvent d'Ammien Marcellin et des écrits d'un évêque du VIe siècle : l'équivalence entre le mille et la lieue romanisée y est parfaitement décrite.

      Il n'en demeure pas moins que le réseau de communication gaulois existait, qu'il était dense, que les communications étaient rapides, ce qui sous-entendait des voies en très bon état, au moins pour les axes principaux. Julian précise : "Les campagnes de César (58-51) nous montreront que les grandes villes de la Gaule étaient réunies par des chemins directs, courant sans interruptions à travers les frontières des cités" (Julian, t. 2, p. 229. Bib.). Il est difficile d'imaginer un tel réseau sans un système d'évaluation des distances et un bornage original. C'est très probablement ce que décèlent les mesures de topographie cartographique réalisées sur cartes modernes, mettant en évidence des séries de coïncidences avec une métrique de 2,4 à 2,5 kilomètres.

      Le stade suivant doit apparaître après la conquête de la Gaule. L'existence de la lieue gauloise devait poser bien des problèmes à l'administration romaine : comment exprimer des distances avec des unités sans rapport direct entre elles ? Le besoin d'une certaine rationalisation devait se faire sûrement sentir. L'origine de la lieue "romanisée" de 2222 mètres est probablement née de la volonté politique d'avoir un rapport évident, rond, avec le mille romain. Deux lieues pour trois milles, une simple adaptation réductrice de la lieue gauloise, une assimilation non-violente... Mais de la décision gouvernementale, née à Rome, à son application aux confins de la Gaule, il y avait... la Gaule et les Gaulois .

      Ces modifications ne pouvaient s'effectuer qu'à l'occasion des réfections des voies impériales, peut-être au moment de la révision de l'annone ? Mais qu'advenait-il dans les voies secondaires ? Dans les voies à charge des cités ? Une certaine forme de résistance passive n'aurait rien eu de surprenant ! D'autre part, les milliaires sont des monuments d'une certaine importance et les preuves de réemploi sont nombreuses. Est-il impensable d'envisager le remplacement ou même le réemploi d'une borne gauloise déplacée (ou non !) et romanisée par adjonction d'une titulature , sans même corriger les indications de distance ?


      Itinéraires et tables, objets de tant de recopies successives, comportent, par contre, une grande quantité d'anomalies. Cela n'enlève rien à la valeur de ces informations irremplaçables, mais complique un peu la tâche de l'analyste. Les erreurs de copiste sont fréquemment mises en cause, mais ces erreurs ne modifient pas le cheminement, dont la logique est implacable. Ce sont bien des erreurs de transcription des valeurs, devant présenter elles aussi un rapport cohérent avec la version antérieure.


      Les inscriptions des bornes milliaires sont les plus intéressantes, car elles ne nécessitent pas de corrections des valeurs numériques (tout au plus une restitution des parties manquantes), leur texte étant généralement parvenu directement jusqu'à nous.


      Les études de la rémanence topographiques du bornage des voies apportent confirmation et aide décisive dans l'identification des modules de distance et des différents points.


      La méthode des tableaux de concordance, incluant la grande lieue gauloise, permet de définir parfaitement le module de distance utilisé, aussi bien dans l'épigraphie milliaire que dans les textes et dans les itinéraires. C'est un mode de représentation qui facilite la détection visuelle des corrélations. Appliquée à l'Itinerarium Burdigalense entre Burdigala et Tolosa, cette forme d'analyse révèle un module de l'ordre de 2450 mètres, mais aussi entre Auch et Toulouse, un module de 2222 m ( passage en Narbonnaise . Annexe II-3).


      La méthode des enchaînements de rayons curvimétriques successifs résout beaucoup de problèmes de localisation de sites antiques. · Nous rencontrons constamment des points correspondants très exactement à ½ lieue . Existait-il un bornage gaulois semi-leugaire ? En corollaire à la réhabilitation de la véritable lieue gauloise, il serait aussi intéressant de vérifier si son existence a eu des répercussions sur la métrique du parcellaire environnant.


      C'est un champ de nouvelles investigations qui s'ouvre avec la reconnaissance de cette unité indigène. Ces méthodes concourantes constituent un outil susceptible d'apporter des solutions complémentaires à l'étude des voies antiques et nous les appliquons en Aquitaine-Poitou-Charentes, en fonction des nécessités de nos travaux d'archéologie aérienne. Ces résultats fructueux ne concernent qu'une partie de notre région et il serait intéressant que cette forme d'étude soit généralisée à toutes les Gaules.

 

Quelques voies antiques d'Aquitaine.

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