Les histoires de Jacques -7-
Révolution
au Lido
Pourquoi ces lueurs fugitives et égrillardes en vos regards usuellement francs, droits et profonds ?
Non, messires, il y a sûrement une petite erreur d'interprétation ! Il ne s'agit nullement ici du célèbrissime cabaret parisien ! Je fais allusion dans un titre certes ni racoleur, ni hors sujet, à un charmant terrain d'aviation, sis à trois encablures de la Sérénissime République de Venise : celui de Venezia-Lido. Vous, les grands, vous connaissez bien Venezia-Tessera, nous, les petits, c'est celui du Lido que nous fréquentons... C'est notre Toussus de Venise !
Dans les nombreux rallyes proposés en ces estivales saisons, l'un d'entre eux avait retenu toute mon attention : "Les mille kilomètres de la Mostra de Venise". Pas trop loin, au point de vue dépenses avion, des conditions météo probablement très favorables et surtout "le Commandant de bord et ses passagers seront les invités de la Sérénissime République pendant toute la durée de leur séjour". Eminemment motivant, non ?
Le voyage aller s'était bien passé. Nous étions quatre, dont mon épouse, à bord d'un Robin DR 250. Venant de Pons-Avy (près de Royan), escale à Cannes, puis Venise par le VOR de Chiogga. Mais en cours de route, aidés par Milano-Radar, la visibilité (encore elle) se dégradait sérieusement... Pas moyen de trouver le Lido ! Je me suis réaligné plusieurs fois en QDR sur Chiogga. Venise m'entendait passer et m'avait donné le QFE et la liberté de manœuvre. Aussi, quand pour la troisième ou quatrième fois, j'ai aperçu la piste dans le cône bleu, là, juste en dessous, j'ai tout coupé et "dégueulé" dans le trou pour retrouver un peu de visibilité horizontale vers 300 pieds. Il n'y avait que très peu d'avions arrivés et certains s'étaient posés dans la pampa. Mais heureusement, sans aucun incident.
Au Lido, les paquebots transitent
en bout de piste... Original, non ? © J. Dassié
Le séjour de rêve commençait... Toutes les images d'Epinal étaient bien présentes, aux rendez-vous des offices du tourisme ! Les visites en vaporetto, le pont des soupirs en gondole, le café Florian, piazza San Marco, avec cette ambiance si particulière. Mais le lendemain, au terrain, c'était la catastrophe : la belle et célèbre lumière nacrée de Venise était en réalité une foutue brume couvrant toute la plaine du Pô , et il y avait QGO (terrain fermé). Epreuves annulées, remises au lendemain. Et le lendemain : itou et le surlendemain : pareil ! Ça a duré toute la semaine et la colonie française du rallye avait appris à se connaître et à bien profiter touristiquement de ce contretemps.
La Mostra de Venise. Un concurent, -distrait sans doute- s'était même
posé sur la place... © J. Dassié
Mais les meilleures choses ont une fin et il a bien fallu programmer le retour. Tout le monde avait à peu près prévu le même jour et la même heure de départ. Et ce même monde s'est retrouvé sur le terrain, à la météo, toujours avec une visibilité pas fameuse. Mais on apercevait un peu de bleu au zénith. En horizontal, c'était bon pour un VFR spécial. Mais les autorités militaires italiennes ne voulaient rien entendre. Des personnalités françaises s'en sont mêlées, le colonel Moynet, sur son Jupiter, en particulier. Il était IFR, mais restait avec nous par solidarité. Le temps passait, ça s'améliorait lentement. Les PLN (plans de vol) étaient déposés. Pour moi, j'avais demandé un VFR spécial qui permettait de voler assez bas, sous les nuages, que j'avais l'intention de transformer en standard, dès que j'aurais pu passer au dessus de la couche.
Venise, terrain du Lido. Mon ami Bernard CHAUVREAU, qui présentait le FOURNIER RF 3.
© Jacques DASSIÉ
Nous
étions maintenant dans les avions et les moteurs commençaient
à tourner. Moynet décida d'aller voir et nous rappela verticale
terrain : une couche pas très dense, on voyait le disque solaire au travers,
de 1000 à 1200 pieds d'épaisseur, et au-dessus, la tempête
de ciel bleu. Colloque intense sur le 123,5 et décision collective "On
y va". J'étais en numéro deux d'une longue file d'avions et quand
le premier s'est ébranlé, on a entendu des "STOP" tonitruants
dans la fréquence tour... Le premier en train de rouler, des soldats
en armes se sont approchés devant mon avion... Pas fier le petit pilote!
J'ai ostensiblement enlevé mon casque et coupé la radio, leur
ai fait signe impératif de s'écarter... et mis plein gaz, crispé
sur les freins. Ils ont eu peur et se sont écartés et j'ai lâché
mes freins...
Le prototype du bimoteur Moynet "Jupiter". Venise, Lido. ©
Jacques DASSIÉ.
La suite est sans problèmes, autres qu'administratifs. Mais dans ce ciel de rêve, les conversations allaient bon train entre la quinzaine d'avions français. Première décision sage, rester unis et nous rassembler tous, à Cannes. On trouvera bien un local pour notre première réunion. Ce qui fut fait. Au fil des discussions, la meilleure défense étant la contre-attaque, il fut décidé de transmettre une lettre collective au Secrétariat d'Etat à l'Aviation Civile. Cette lettre, qui se plaignait des restrictions, injustifiées à nos yeux, apportées ce jour-là par l'Aéronautica Militare, fut signée par tous, et vogue la galère...
Des réactions officielles françaises : point, à ma connaissance. Des militaires Italiennes ? Pas davantage ! Par contre, les journalistes des deux bords s'en donnèrent à cœur joie, et ce fut un bel échange transalpin au milieu duquel Vico Rosaspina , correspondant italien de journaux français, écartelé entre sa nationalité et ses amitiés, essayait au fil des articles, de calmer le jeu... Puis le temps fit son œuvre... Les articles devinrent des entrefilets de quatrième... et le silence revint ! Nous n'étions plus persona non grata à Venise...En quelle année cela se passait, demandez-vous ? Et bien, mon second carnet de vol me rappelle que ces souvenirs sont nés du 9 au 13 Septembre 1966.