Les histoires de Jacques -18-

Maurice BELLONTE 1896-1984

Une histoire qui commence mal. Un beau jour de 1953, sur le terrain d'aviation de Saint-Cyr l'École, près de Versailles, je m'apprêtais à partir faire un tour dans un biplan, un Stampe SV4c, et je me retrouvais au pied de l'appareil en même temps que l'un de mes collègues, hollandais, Monsieur Dewitt qui se disposait à en faire autant. Assaut de politesses, "Après vous cher ami etc". Je gagne et j'aide Dewitt à s'installer et à se brêler.

       Il débutait et faisait des tours de piste prudents, à 150 mètres de hauteur. En me retournant, je voyais le Stampe dans la branche "vent arrière" du circuit. Mais aussi, un autre appareil, qui, sans avoir effectué les procédures normales d'intégration dans ce circuit, était en descente, justement au-dessus  du Stampe, sans possibilité de le voir puisqu'il était sous lui… L'inévitable s'est produit et dans le choc, le Stampe a perdu une aile et s'est abattu en vrille à plat !

Connaissant bien la région, je pensais que ces appareils étaient tombés dans le parc du Château de Versailles. Bondissant dans ma voiture, j'y arrivais en même temps que les pompiers. Pour le pilote de l'autre appareil, il n'y avait plus rien à faire : un pompier était en train de ramasser son cerveau, dans l'herbe, avec un morceau de contreplaqué…Dewitt était cassé d'un peu partout, mais vivant et conscient. La vrille à plat du Stampe avait heureusement ralentit la vitesse de chute. Il s'en sortira après un long séjour en milieu hospitalier, heureusement sans séquelles.

Pour l'autre pilote, sa veuve, mal conseillée par ses avocats, venait d'attaquer en justice l'Aéroport de Paris, propriétaire des installations de Saint-Cyr, pour "défaut de signalisation" ? Ils espéraient probablement une juteuse indemnisation. Stupéfaction de l'Aéroport de Paris, qui réagit en faisant un appel à témoins afin de prouver le bon état des installations. Le Président de la Commission d'Enquête était le très célèbre Maurice BELLONTE, héros de la traversée de l'Atlantique dans le sens Europe-USA (Paris- New York 1930).

J'étais pilote, mais également photographe passionné et j'avais récemment fait un reportage complet sur l'aérodrome de Saint-Cyr et ses installation ! Dès que Bellonte appris cela, je devins le favori de l'Aéroport de Paris, puisque, à moi seul, j'avais la possibilité de mettre l'Aéroport totalement hors de cause   !

Mais il fallait compter avec ces avocats retors qui récusèrent immédiatement mes images, sous prétexte "qu'elles n'étaient pas datables...". Dans le genre mauvaise foi, il est difficile de faire mieux ! Je me replongeais immédiatement dans mes archives, retrouvais le film et constatais qu'il représentait un autre sujet, en plus de Saint-Cyr.



Il s'agissait de la venue à Versailles d'un groupe folklorique landais, qui avait effectué une traversée de la ville, montés sur leurs échasses… Un rapide commando au journal permettait d'avoir la date de l'évènement… Et c'était gagné. Nous avions les bonnes images des installations ainsi qu'une datation incontestable (et antérieure à l'accident). L'Aéroport de Paris est sorti complètement lavé de toute accusation.

C'est ainsi que j'ai eu l'occasion de rencontrer souvent Maurice BELLONTE, d'être reçu chez lui, de connaître son épouse, et de l'entendre me conter quelques souvenirs. Imaginez ma joie ! C'est ainsi qu'il a pu me détailler sa première tentative de raid sans escale, celle de 1929, avec Dieudonné COSTES. On parle bien peu de cette première tentative, peut-être parce qu'elle s'est soldée par un échec.

Et pourtant, aux yeux de Maurice Bellonte, ce fut peut-être la plus importante !
Le 13 Juillet 1929, Costes et Bellonte décident de faire une tentative de traversée, une première  dans le sens Europe-USA, soit 6000 kilomètres contre des vents dominants, soufflants généralement d'Ouest ! Costes est le pilote et Bellonte est le mécanicien-navigateur. Et c'est dans cette dernière fonction que ses capacités techniques sauveront ce vol !

En effet, à plus de mi-route, Bellonte dit à Costes "Je crains qu'avec ces vents contraires nous ne puissions pas atteindre la cote.  Il faut prendre une décision, c'est la dernière limite pour faire demi-tour…" Et après concertation, Costes se rend aux arguments de Bellonte et le "Point d'interrogation" reprend la route du Bourget, très vite maintenant, poussé par les vents forts.

Bellonte me dira "Cette décision fut la plus difficile à prendre… mais je crois qu'elle nous a sauvé la vie" .

Les deux hommes ne se découragent pas et pour s'assurer pleinement des possibilité de leur machine, un Bréguet 14, le "Point d'interrogation", décident de battre un record du monde de distance : Paris- Tsitsikar, en Mandchourie (7905 Km).

© Musée de la Poste

Excellents préparatifs, puisque l'année suivante, ce fut la traversée victorieuse, avec le triomphe à New-York.

Le "Point d'interrogation" est exposé au Musée de l'Air et de l'Espace, au Bourget.



                                                                                                    

                    Maurice BELLONTE et Dieudonné COSTES
                                        Maurice BELLONTE et Madame