Les Nuits de
Kinshasa...
Au cours d'un séjour professionnel à Kinshasa, je résidais à l'hôtel Intercontinental, hâvre de paix dont les barbecues au bord de la piscine, sous le clair de lune équatorial, remportaient unanimement la palme.
Un soir pourtant, rentrant en taxi (un très bon : il avait encore au moins trois vitesses sur quatre...), j'eus la désagréable surprise de retrouver mes bagages et mes chaussures dans le couloir, devant la porte de ma chambre !
Le réceptionniste, navré, m'explique que les intérêts supérieurs... en un mot, que c'était une réquisition de la Présidence et que je n'étais pas le seul dans ce cas... Effectivement, il y avait plein de grands musclés qui erraient dans les couloirs, dans l'attente visible de quelque gros V.I.P.
L'hôtel Intercontinental,
à Kinshasa. © Jacques DASSIÉ
Conseil de guerre avec quelques collègues, au bord de la piscine. Nous téléphonons à quelques résidents européens afin de nous faire conseiller. leur verdict fut sans appel : "Vous ne trouverez rien à cette heure-là !". "A moins que...(hésitations)... Oui, peut-être... Oh, ce n'est pas le grand luxe, mais, bon... Essayez-donc le Memling Hotel, c'est l'ancien siège de la Sabena !
Sitôt dit, sitôt fait. le taxi démarre normalement, fait hurler sa première et passe directement en quatrième. Tiens, il doit lui manquer ses deuxièmes et troisième, à celui-là. Après quelques virages, pris toujours en pleine ville et en quatrième (et qui nous font recroqueviller nos doigts de pieds dans nos chaussures...), nous voici devant le Memling !
"Oui, Messieurs, des chambres ? Pas de problème, on va vous faire visiter" Bon, ça ne se présente pas trop mal... Très, très modestes, les chambres, et sans climatisation. Juste une grande fenêtre, donnant sur un jardin vide, bien garnie d'un grillage de garde-manger du Lot et Garonne, sans trous apparents. Bien, ça ira quand même, et le fait de ne pas être sur la rue augure d'une nuit paisible.
La piscine de l'Intercontinental. © Jacques DASSIÉ.
Nous ressortons pour dîner, étouffants dans la moiteur lourde de Kinshasa, effrayante mégapole de cinq ou six millions d'habitants. Vers 22 heures, la dernière petite mousse locale éclusée, nous rentrons en constatant que maintenant, en chemisette, la température devient supportable, presque agréable.
En prélude à une bonne nuit, je me livrais à une chasse à tout ce qui rampait ou bzzbzzitait. Blattes énormes, cachées dans toutes les évacuations de sanitaires et au plafond, une myriade de bestioles volantes, faisant chauffer leurs moteurs au point fixe avant d'entamer une fantastique descente en piqué, sur l'objectif couché sur le lit... Prudent, j'avais apporté une bombe de fort calibre et fit un sévère ravage, avant de m'allonger, l'âme en paix.
"Trois cents", "Non, deux cents", "Trois cent et tu auras une petite gâterie en plus...", "C'est quoi, ta gâterie ?". Inutile de détailler plus avant cet édifiant reportage. Vous avez compris que ma chambre se trouvait au rez-de-chaussée, que la fenêtre, nécessairement ouverte, donnait sur un parc et que ce parc était un lieu de rencontre. Mais à la mode africaine, où rien ne se fait sans palabres, il fallait négocier avec ardeur (?) la tarification des prestations annoncées... Et il y avait maintenant beaucoup de négociateurs !
Un bordel, j'étais dans un bordel... et les discussions se passaient à moins de deux mètres de moi ! J'ai dû m'endormir vers cinq heures du matin et vers six heures trente, au petit déjeuner, la tête de mes collègues me fit comprendre que je devais ne pas avoir été le seul à faire cette étude sociologique...
Oh
! Toi qui passes, mon frère, toi le voyageur errant, tu cherches un bon
hôtel à Kinshasa ?
Une seule adresse et tu ne la regretteras pas
: le Memling... C'est bien d'être serviable...
Cette
description se passait il y a quelques décennies... L'honnêteté
et l'objectivité amènent forcément à se poser
cette question :
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